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« Navalny a parcouru, jusqu’au sacrifice ultime de sa propre vie, un cheminement politique complexe »

Contre l’avis de nombreux activistes de l’organisation russe de défense des droits humains Memorial, scandalisés par les propos xénophobes d’Alexeï Navalny fustigeant les « cafards » caucasiens et demandant leur « déportation », Arseni Roginski (1946-2017), son charismatique dirigeant, avait décidé, ce 11 mai 2008, d’inviter Alexeï Navalny à la célébration du 70e anniversaire du grand avocat Henri Reznik, l’infatigable défenseur de Memorial. « Alexeï évoluera, c’est un homme trop intelligent, et fondamentalement intègre, pour rester sur des positions aussi nauséabondes », avait dit Arseni Roginski. Il ne se sera pas trompé.
Depuis son entrée en politique en 2000, à l’âge de 24 ans, dans le petit parti libéral-démocrate Iabloko, jusqu’à sa mort, à 47 ans, le 16 février, dans une colonie pénitentiaire de l’Arctique, semblable à celle de tant d’autres morts de prisonniers politiques dans les camps soviétiques dont on ne connaîtra jamais les circonstances – comment ne pas se souvenir de celle du grand dissident Anatoli Martchenko, disparu à 48 ans, le 8 décembre 1986, après onze ans de détention ? –, Alexeï Navalny a parcouru jusqu’au sacrifice ultime de sa propre vie un complexe cheminement politique, semé d’embûches, dans un pays marqué par un désarroi, une désorientation sociale radicale et un rejet profond de la politique par la société.
Comment réveiller un peuple anesthésié par une propagande officielle toujours plus agressive en temps de guerre et alors que les passions nationalistes s’enflamment ? Comment l’entraîner dans la lutte contre la corruption massive au cœur même du fonctionnement mafieux du pouvoir, vers l’instauration d’un Etat de droit et d’une démocratie ?
Rapidement, Alexeï Navalny a compris que le libéralisme à l’occidentale porté par Iabloko, un petit parti regroupant intellectuels et milieux cultivés aisés de Moscou et de Saint-Pétersbourg, était massivement rejeté par le peuple, traumatisé par la catastrophe économique des années 1990. Il décide alors de tenter de capter le soutien populaire en exploitant la fibre nationaliste d’une population à la dérive, en quête d’une nouvelle identité et d’une nouvelle fierté.
En 2007, il crée le Mouvement de libération nationale russe, dont l’acronyme, Narod, signifie « le peuple ». Mais le mouvement se perd et se fond dans la vaste nébuleuse nationaliste qui, des skinheads au sulfureux parti national-bolchevique de l’écrivain Edouard Limonov (1943-2020), surfe sur la xénophobie du « petit peuple » et son rejet des « culs noirs » des anciennes républiques soviétiques du Caucase et d’Asie centrale venus travailler et se faire exploiter sur les chantiers pharaoniques de Moscou, de Saint-Pétersbourg et d’autres grandes villes, alors que l’économie repart après une décennie de récession.
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